Toute sa vie, Roger a fait siens les principes édictés par le Conseil National de la Résistance. Il est décédé le 31 janvier 2015 à la MARPA de Lauzès. Je suis fier d’avoir été son ami, c’était un exemple, un homme droit et honnête.
Il a été quatre fois candidat communiste au Conseil Général du Lot, jamais élu. Comme il le disait avec humour : ”J’ai pris plusieurs vestes, mais je ne l’ai jamais retournée”.
Avec son épouse, ils ont œuvré de nombreuses années au Secours Populaire du Lot.
Pris par des obligations incontournables, je n’ai pas pu assister à son enterrement au petit cimetière de Fages, mais il sait que j’étais là.
C’est ensemble, que nous avons recueilli la plupart des témoignages sur la Résistance de notre petit coin du Lot.
Témoignage de Roger PÉRIÉ de FAGES - Saint-Martin-de-Vers
”La trop célèbre division SS Das Reich du général Lammerding qui venait d’être décimée en Union soviétique était cantonnée dans le Tarn et Garonne à côté de Moissac.
Lors de sa marche vers Moscou, obéissant aux ordres du Führer, elle pratiquait la politique de la terre brûlée, ne laissant pas de survivant derrière elle, c’était ”trop dangereux”.
Elle a fait 26 millions de morts, majoritairement des civils, femmes, enfants, avant qu’elle bute sur Stalingrad. En ce début mai 1944 elle avait fait route sur Cahors pour essayer d’écraser la résistance locale en arrêtant ses chefs et terroriser la population qui les soutenait.
Le 11 mai un détachement de la division Das Reich a été dirigé sur notre canton où elle a perpétré d’abominables exactions sur son passage : villages pillés, maisons incendiées, villageois tués ou déportés. Elle commença au nord de Caussade puis dans le canton de Lalbenque, ensuite passage par Cahors, Laroque-des-Arcs, Francoulès, route nationale 20 direction Brive, Départementale 13 direction Lauzès, mon chef-lieu de canton.
Le 11 mai 1944, la colonne de blindés est passée devant mon domicile à une trentaine de mètres de ma maison au lieu-dit Fages commune de Saint-Martin-de-Vers. Ce jour là, pour moi, ma famille et un voisin Éloi CAZAL qui venait rendre visite à sa mère près de là, il s’est produit un véritable miracle qui nous a sauvé la vie.
Je me demande encore aujourd’hui comment nous sommes restés en vie.
M. Cazal qui était à vélo a entendu arriver, à environ un kilomètre derrière lui, le détachement de blindés. Pris de peur, il s’est précipité chez nous. Sans doute sa fuite a été aperçue car devant chez moi sur la Départementale, le détachement de la Das Reich s’est arrêté alors que M. CAZAL et moi étions couchés sous un ormeau.
Nous avons entendu des cris, puis des ordres, puis au bout d’un moment le convoi est reparti et a poursuivi sa route en direction de Lauzès, leur objectif final. Je vous avoue que nous avons paniqué et sachant ce qu’ils ont fait ce jour-là, je me rends compte que nous avons sûrement échappé au pire.
À trois kilomètres de Fages en descendant sur Saint-Martin-de-Vers, dans un vallon en face le père MIQUEL travaillait avec sa paire de bœufs. Pour se défouler, les Allemands lui ont tiré une rafale de fusil-mitrailleur, sans le toucher heureusement. Je peux vous dire que la journée de travail de l’agriculteur s’est terminée là !
Puis la colonne a repris sa route vers Lauzès, l’objectif de l’opération.
À ce sujet je dois vous donner quelques explications sur la raison de l’expédition de ces assassins :
Les cantons de Lauzès et de Labastide-Murat, au centre géographique du département étaient le centre stratégique des maquis du Lot. Deux groupes de maquis y avaient leurs “habitudes” :
- le maquis France (F.T.P.) du capitaine Philippe (Jean-Jacques CHAPOU) héros de la Résistance tué dans une embuscade à Bourganeuf (Creuse) en juillet 1944 veille de la libération de Cahors ;
- le maquis commandé par le docteur François JUBIN (Armée Secrète), ancien médecin militaire de la flotte qui s’était sabordée à Toulon. Lotois de Cahors, il s’était installé comme médecin à Lauzès le jour, et animait un groupe de résistants la nuit, soignant les blessés.
La MARPA de Lauzès porte le nom de ce résistant téméraire, tué à Gourdon le 28 juin 1944 alors qu’il revenait de rendre visite à son épouse jeune accouchée.
JUBIN et CHAPOU se rencontraient chez Ernest COURTIOL, commerçant à Lauzès.
Pour Labastide-Murat j’ai moins de détails, si ce n’est qu’une commune, Caniac-du-Causse a été décorée de la médaille de la Résistance pour avoir payé un lourd tribut au passage des brutes nazies.
À Lauzès, le drame s’est joué très rapidement, car ces brutes sanguinaires ne venaient pas là par hasard. Les Allemands étaient très bien renseignés par un traître surnommé “HERCULE” en raison de sa petite taille, et qui avait infiltré le maquis CHAPOU.
Après avoir regroupé tous les hommes à coups de crosses au centre du village, ils ont cherché CHAPOU sans savoir qu’il était parti commander les maquis de Corrèze, puis JUBIN, qui se cachait dans la soue à cochons de Madame MARTY et enfin Ernest COURTIOL qui avait dormi dans sa maison du hameau de Bourbous comme tous les jours.
Trois civils innocents feront les frais de la rage de ces brutes : la mère et la fille MONCOUTIÉ, froidement abattues devant leur porte au Mas Delfour alors qu’elles appelaient leur chien qui aboyait après les Allemands lancés à la poursuite de Raymond BOUSCARIE ; et Abel LALO qui, terrorisé avait préféré se cacher dans son jardin plutôt que de se rendre sur la place. Les Allemands l’abattront comme au stand de tir.
L’un d’entre eux lui volera sa montre, qu’un gradé rapportera un peu plus tard à sa famille avec ses excuses...
Un quatrième, Lucien COURTIOL blessé alors qu’il tentait de s’enfuir à travers les Combettes fut arrêté et mourra en déportation à Neuengamme dans l’année.
Les SS ont installé leur PC pour quelques heures à Sabadel au lieu-dit la Capelette dans une maison aujourd’hui démolie.
De là, toujours guidés par “HERCULE” ils ont “cuisiné” quelques habitants plus ou moins coopératifs cherchant les maquisards un peu partout aux alentours : au Gruat, à Lagrézette, à Merlan : sans succès. Sur leur passage, ils ont emmené Maurice CAMINADE qui travaillait sur son toit avec un jeune commis. Quelques temps plus tôt, CAMINADE avait eu le tort d’avouer à un maquisard de petite taille (HERCULE !) qu’il aidait les maquis à l’occasion. Les deux hommes ont été envoyés en déportation. Le jeune employé y a trouvé la mort. Maurice CAMINADE en est revenu avec un seul poumon. Il est décédé en 2012.
Les soldats allemands accompagnés par deux collabos actifs du canton ont pris le chemin de la ferme de Malaterre propriété d’Anatole de MONZIE où logeaient un couple de métayer et des réfugiés espagnols qui effectuaient du bûcheronnage dans les environs. La ferme isolée abritait occasionnellement le maquis CHAPOU. Les maquis n’avaient pas de cantonnement fixe. Pour échapper aux dénonciations, ils changeaient sans cesse d’endroit.
Les deux collabos sont rentrés tranquillement chez eux leur traîtrise accomplie, sans remords. Aux yeux de l’Histoire, ils porteront la responsabilité des morts de cette journée.
Deux Espagnols ont été surpris par les Allemands à Malaterre. Nul ne sait ce qui s’est vraiment passé là-bas, ce jour-là. Le 30 mai soit trois semaines plus tard, on a retrouvé le corps criblé de balles d’un ouvrier espagnol Joachim CARBELLO-CARPI, dans les bois, à moitié dévoré par les sangliers.
Son corps repose au cimetière de Lauzès, son nom est gravé sur la stèle aux martyrs de Cabrerets. Le deuxième Espagnol a disparu, probablement assassiné et jeté dans un ravin ou déporté.
Les bâtiments de la ferme ont été incendiés, les rafales d’armes automatiques ont été entendues jusqu’à Cras, de l’autre côté de la vallée...
Quelques heures plus tard les Allemands se sont rendu à Cabrerets où ils ont emmené Gabriel LABROUSSE, mort en déportation. À Sauliac-sur-Célé ils ont emmené Jeantou NADAL. Revenu des camps de la mort, il a été Maire de sa commune pendant plus de 20 ans. À Blars ils ont terrorisé la population.
Ils ont pillé les maisons, ils ont mangé et bu les produits volés aux habitants. Les hommes avertis de leur arrivée s’étaient enfuis dans les bois.
En ce qui concerne cette tragédie des 11,12 et 13 mai 1944, un détail troublant restera sûrement à jamais sans réponse. André MALRAUX, ancien des brigades internationales en Espagne et futur ministre de De GAULLE était à Lauzès la veille de l’opération de la Das Reich !
André MALRAUX tentait depuis plusieurs mois, sans succès, de prendre le commandement des maquis de la région. En Corrèze comme dans le Lot, il avait été évincé par les chefs locaux. Avec un ami, il a été hébergé à Ramaille la nuit du 10 mai au 11 mai 1944, la veille de l’intervention meurtrière à Lauzès.
Selon un témoignage digne de foi, MALRAUX aurait dit à ses hôtes d’une nuit : “Surtout, n’oubliez pas de nous réveiller tôt avant cinq heures, parce que les Allemands doivent venir à Lauzès demain matin...”.
Cet épisode soulève plusieurs questions :
- De qui MALRAUX tenait-il cette information ?
- Pourquoi n’a-t-il pas averti la population de Lauzès et les maquis du secteur ?
- Que faisait-il à Lauzès ce jour-là, dans le secteur où devaient intervenir les Allemands ?
Après le canton de Lauzès, la division Das Reich a continué son sale travail le 12 mai et le 13 mai, à Grèzes, Cambes, Camboulit, Ceint-d’eau, Figeac.
La ville de Figeac a payé un lourd tribut à la guerre puisque près de six cents hommes ont été envoyés en déportation. Une vingtaine de camions sont passés sur l’actuelle D.653, faisant une halte dans la vallée du Vers, en face de la maison de Madame COMBES.
Après Figeac, le village de Terrou (canton de Lacapelle-Marival) est incendié. Des habitants sont tués et déportés à Saint-Céré, Bretenoux.
À Gabaudet canton de Livernon, un groupe de maquisards sera décimé sur dénonciation du chef de gendarmerie de Gramat. Cet homme et sa famille seront fusillés par la Résistance.
À Gourdon 22 otages seront fusillés. À Frayssinet-le-Gélat 11 civils seront massacrés par la division Brenner venue du Lot-et-Garonne. Terrible témoignage d’une habitante de ce dernier village : un jeune soldat allemand pleurait en mettant à exécution les ordres de ses supérieurs.
Voilà une petite partie des exactions commises par cette bande de fous sadiques dans notre département.
Le général Heinz Lammerding a continué son sinistre parcours par le massacre de Tulle puis d’Oradour-sur-Glane. Condamné à mort par contumace en 1953 par le Tribunal de Bordeaux, l’Allemagne de l’Ouest ne l’a jamais extradé. Sans être inquiété, il reprit ses activités d’ingénieur civil dans grande firme allemande jusqu’à sa retraite et mourut dans son lit en 1971 d’un cancer généralisé…"
Fait à la MARPA de Lauzès le 23 avril 2010.
Roger PÉRIÉ
Pendant des années, Roger cantonnier affecté à Blars faisait le trajet de Fage à Blars, à bicyclette, soit 20 km aller et 20 km retour, quotidiennement.
Jean-Jacques CHAPOU et Roger auraient adhéré au message de Stéphane Hessel écrit en 2010, et plus que jamais d’actualité :